Quand on s’imagine un lutteur, on pense souvent à des barbares pour qui un secondaire 5 c’est le version plus poche du F-5 de Brock Lesnar, et qui parlent avec leurs poings parce que quand ils parlent avec leur bouche, c’est pas trop beau à entendre.
Ce préjugé, Junior Lamoureux, aka Urban Miles, le fait éclater en morceaux. Ancien professeur de littérature faisant maintenant carrière dans le monde des communications, Junior Lamoureux n’a pas le look du lutteur typique. Il porte les lunettes à grosse monture, la coupe de cheveux classique hipster et il a un sens de l’humour aiguisé et ironique à la fois.
En fait, plutôt que de ressembler à l’image typique d’un lutteur, il ressemble plus au blogueur qui est assis devant lui pour l’interviewer…si j’étais capable de monter plus qu’un étage sans voir des points noirs.
J’ai choisi d’inviter Junior/Urban à prendre un café à la Grande bibliothèque parce que je sais, de son fil Instagram, qu’il est un grand amateur de livres. Et aussi un peu parce que ça me fait rire d’être assis à parler de lutte entre des étudiants qui se préparent à leurs examens.
Mais comment est-ce qu’un ancien prof de littérature, pour qui le plus beau moment de sa carrière est d’avoir passé à La soirée est encore jeune (il nomme d’ailleurs Jean-Philippe Wauthier comme inspiration pour son personnage), se retrouve dans un ring de lutte?
Parce que pour lui, la lutte est à mi-chemin entre ses deux passions, le sport et l’art : «J’ai toujours fait du sport élite, mais j’ai toujours été intéressé par l’art aussi. J’étais du genre à 16 ans à cacher mon recueil de poésie d’Émile Nelligan dans mon cartable pour pas que personne sache que quand j’avais rien à faire j’allais le lire parce que je voulais pas avoir l’air ‘’pas cool’’. Un genre de sportif qui se cache pour lire de la poésie.
Pour moi la lutte, c’est vraiment le mix parfait entre quelque chose de sportif et quelque chose d’athlétique».
Mais s’il était un peu atypique au secondaire en tant que sportif qui se cachait pour lire de la prose, il l’est autant en tant que lutteur qui tripe littérature. Il explique d’ailleurs qu’il s’est tout de suite lié avec Benjamin Tull à ses débuts parce que «lui y’allait à l’université, pis y’était normal, fait qu’on a comme tout de suite connecté».
C’est peut-être ma nature anxieuse, mais je ne peux m’empêcher de me demander si cette différence a pu l’insécuriser à ses débuts. J’ai déjà démissionné d’une job parce que je comprenais pas de quoi le monde parlait dans la salle de pause. A-t-il déjà douté de sa place dans le milieu au début de son entraînement?
« Pas douter sur le fait que j’allais être bon, mais j’ai toujours douté en général dans la vie que je fitte jamais parfaitement. Si je me retrouve dans un milieu d’intellectuels, je vais me trouver un peu trop normal, j’aime autant boire de la bière pis déconner avec mes amis que lire un roman ou aller voir une pièce de théâtre.
Si je me retrouve avec des intellectuels, ils vont trouver que je suis pas assez intellectuel. Si je me retrouve avec du monde qui sont juste ‘’lutte, lutte, lutte’’, c’est sûr qu’eux ils vont trouver que je clash».
Mais de toute façon, qu’on remette en doute l’intelligence des lutteurs en général semble l’agacer. Il respecte l’art de la lutte (il m’affirme avec conviction qu’il ne lui fait aucun doute que la lutte est un art), et il en respecte aussi les artisans :
«Tous les lutteurs que tu vas voir dans le ring et que tu trouves créatifs, c’est des gens intelligents et des gens qui remettent toujours en question comment tu peux raconter une histoire avec des prises. Il y a un côté vraiment artistique à la lutte que les gens s’imaginent pas.
Les gens s’imaginent pas que y’a autant de réflexion sur comment on peut transmettre une émotion à travers le match ».
D’accord. Alors, si on ne peut définir le lutteur par son sport, qui est donc Junior Lamoureux, l’homme qui se fait appeler Urban Miles les fins de semaine? Je lui raconte notre première rencontre, alors que j’étais étudiant à Québec, et qu’il avait tenté de convaincre mes amis et moi après un show qu’on devrait remonter avec lui cruiser à Montréal parce que «Québec c’est une ville de rednecks pis que les filles sont laides».
Était-ce un personnage, ou est-il ainsi dans la vie?
«C’est sûr que dans la lutte, le thème du double, c’est quelque chose qui me fascine. Dans la lutte, c’est spécial, il faut que tu prennes un personnage qui te ressemble, qui est proche de toi. Mettons que je fais une entrevue, les gens vont m’appeler Urban. Pourtant, si tu fais une entrevue avec Fabien Cloutier, tu vas pas l’appeler par le nom de son personnage dans Les Pays d’en haut.
[…]
Sauf que les gens nous identifient vraiment à notre personnage, parce qu’on joue toujours le même personnage.
Mais c’est sûr qu’il y a beaucoup de mon personnage qui est vrai; j’aime les lattés qui coûtent cher, et j’ai ce style d’humour là.
[…]
Des fois, je me suis dit, est-ce que je me concentre plus à être un bon Urban Miles qu’un bon Junior Lamoureux?
Un moment donné, c’est dur pour le monde de faire la différence entre les deux, et même pour moi».
Quand je vous disais que l’homme derrière Urban Miles est un intello. Il me raconte aussi avec plaisir qu’il sent un boom dans le milieu de la lutte québécoise ces derniers temps. Que les salles se remplissent parce que la lutte, c’est rendu un peu hipster, et que les gens essaient de découvrir le prochain Kevin Owens ou le prochain Sami Zayn avant que ça « devienne commercial».
Et lui qui joue un hipster, est-ce que ça le dérange ce public qui vient voir les shows un peu ironiquement? Il éclate de rire : « C’est vrai qu’il y en a qui font ça! […] J’en ai de mes amis qui le font, qui vont voir des shows de lutte pour rire. Le monde a le droit de faire ce qu’ils veulent. Moi, s’il peut y avoir plus de monde dans les foules et que je peux être payé plus cher, ça me dérange pas».
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