Le lutteur qui se tient devant moi n’est pas gigantesque. Oh, ne vous inquiétez pas, il pourrait sûrement me casser en deux, mais ça ne paraît pas à le voir. Il est grand, mince, et il a un visage de gars qui va se faire carter jusqu’à sa retraite.
Et pourtant, quand je lui serre la main, sa poigne me donne un indice; Mathieu Bouchard Lapointe, alias Matt Angel, est bel et bien un lutteur. Ça, et les traces de mains rougies sur son chest, souvenirs de ses deux combats de la veille. D’ailleurs, je l’attrape avant qu’il ne parte pour Gatineau, où il lutte le soir même, pour ensuite revenir à Montréal pour un 4e combat en trois jours : «C’est quand même rough sur le corps. C’est niaiseux, mais la route, c’est rough sur le corps. Mettons que je fais 4h pour venir [à Montréal], je remonte… ça devient dur».
Dur parce qu’en plus, Matt Angel n’est pas de Montréal… mais de Jonquière. Qu’est-ce qu’il fait dans la vie? «Je vais te surprendre, moi je suis agriculteur!»
Il est le seul lutteur saguenéen à faire la tournée ainsi, et il y a une raison : Jonquière, c’est loin! Mais Matt ne quitterait jamais sa ferme : « Ça se gère bien. Le pourquoi, c’est que j’ai saisi l’opportunité, ce que beaucoup n’ont pas fait. Y’en a beaucoup au Saguenay qui avaient vraiment beaucoup de talent, mais ils n’étaient pas prêts à faire les sacrifices. Ça me freine pas parce que je suis prêt à le faire, ce qui va me freiner, c’est quand je ne serai plus prêt à le faire».
En fait, il ne quitterait sa ferme pour rien au monde… sauf pour la lutte : «Demain matin, si tu m’offres de quoi d’intéressant, j’abandonne tout immédiatement». C’est que Matt Angel est un vrai passionné de lutte. Quand il me parle de lutte, il s’emballe, il a la fougue de sa jeunesse (il n’a que 23 ans!). Et cette passion ne date pas d’hier : «J’ai su qu’il y avait des cours qui se donnaient à Jonquière, mais j’étais trop jeune, j’avais juste 15 ans. Ils m’avaient dit faut que t’ailles 16 ans, fait que j’ai attendu un an pis à 16 ans pile, je me suis inscrit.»
Et ce n’étaient pas des débuts faciles : «J’étais vraiment pas bon quand je faisais les cours. Pendant 70% du cours, [mon entraîneur] a juste pensé me mettre dehors. J’étais vraiment pas bon, je suivais pas pantoute. Finalement, je suis le seul qui a terminé. On a commencé à 8 et je suis le seul qui a fini».
Et malgré son jeune âge, ce ne sont pas les seules embûches qu’a affrontées Matt Angel. Partir de son Saguenay natal a été encore plus difficile.
«C’est fou comment tu peux penser que t’es un bon lutteur jusqu’à tant que t’ailles à l’extérieur. Mettons au Saguenay je peux lutter toutes les semaines, je vais affronter un gars peut-être 15 fois dans l’année, je me disais ‘’Oh, je fais des bons combats’’. Et là t’arrives à Québec contre un gars […] contre qui t’as jamais lutté, c’est pas la même game! […] Je suis habitué avec ma foule qui me connaît depuis des années, j’arrive à Québec : aucune réaction. [Je me disais] : Qu’est-ce que je fais icitte moi-là?»
Et ce n’est pas qu’auprès du public qu’Angel a dû lutter pour se mériter le respect. Acquérir le respect de ses pairs a été un encore plus grand défi : «Ce que j’ai trouvé le plus difficile de partir du Saguenay et d’aller à l’extérieur, c’était de me faire respecter des autres lutteurs. Tu regardes Québec, Montréal, Toronto, Ottawa, c’est tous des gens qui se connaissent; soit ils ont fait leurs cours ensemble, soit ils ont voyagé ensemble pour faire Montréal-Québec. Moi, je suis parti tout seul, j’arrive du Saguenay, personne me connaît. Je me présente, […] j’ai l’air d’avoir 11 ans!»
«Le respect, je l’ai eu surtout en luttant, mais aussi parce que je suis un gars qui est vraiment respectueux, je serre toujours les mains, toujours souriant, toujours de bonne humeur avec tout le monde».
Si vous avez déjà vu Matt Angel lutté, vous le savez, il se distingue par une chose : son style acrobatique de high-flyer. Pourquoi avoir choisi ce style dangereux? Par nécessité : «Je suis pas le gars le plus gros, mais quand j’ai commencé je pesais 120 livres, tsé».
Ce n’est pas nécessairement le style pour lequel il a une affection inconditionnelle, par contre: «Par défaut, j’ai eu le high-fly, avec le temps j’ai quelque chose d’un peu strong style avec les kicks et les forearms, j’ai essayé de mélanger ça en étant un peu technique.»
«Faire du high-fly, en 2018, c’est rendu un peu moins populaire avec des gars comme Tyler Bate, comme Pete Dunn, on est rendus dans quelque chose de plus technique, de plus rough».
C’est aussi un style dangereux, et il en est conscient : «Ce que j’aime moins avec le high-fly, c’est que tout ne dépend pas de toi. Si je saute de la troisième corde, et que le gars est pas là pour m’attraper, ben moi je me blesse. Si il y a quelque chose que je veux pas, c’est me blesser. À la lutte, t’as ton poste jusqu’à tant que quelqu’un le prenne.»
En fait, avec son visage de gamin et son physique de poids-léger, il n’a pas eu le choix de s’adapter à son casting : «C’est un rôle que j’aimais pas au début. Ça m’a pris du temps comprendre qu’il fallait juste que j’embrasse le fait que je suis un babyface. Je voulais être le big wrestler que tu regardes et que tu dis ‘’Wooooo, lui yé cool’’ Mais non, j’attire les enfants et les petites filles! Je vais vendre des t-shirts aux petits jeunes parce qu’eux ils se voient en moi, j’ai l’air jeune».
Matt Angel est un jeune homme sympathique comme tout, rieur, mais surtout, qui a la passion et qui ose rêver grand même s’il est un petit gars de région. Comment ne pas vouloir s’identifier à lui?
NDLR : Vous pouvez voir Matt Angel en action sur les ondes de RDS2 lors des diffusions de la IWS. Prochain rendez-vous le 20 mai à 12h30 alors qu’il défend son Championnat canadien dans un match d’échelle contre Frank Milano. Plus de détails ici – www.rds.ca/lutte
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