Quand j’ai invité The Beast King FTM, auparavant connut sous le nom de Franky the Mobster, à venir prendre un thé au Salon de thé cardinal, un salon de thé typiquement à l’anglaise, l’idée me semblait drôle.
Il y a tout un contraste entre cet endroit paisible et sa vaisselle délicate, et The Beast King ce lutteur au physique imposant et à l’apparence pour le moins effrayante. Disons qu’en disant ‘’salon de thé’’, ce n’est pas l’image de ce colosse qui entre avec une corde de pendu, un serpent autour du cou et crachant du sang qui nous vient à l’esprit en premier.
Je dois même admettre que bien que je suive la lutte depuis des années, l’idée de me retrouver en tête à tête avec Marc-André Boulanger, l’homme derrière le monstre, m’inquiétait un peu. Ce n’est pas tous les jours qu’on prend le thé avec quelqu’un qui peut nous casser en deux.
Pourtant, l’homme que j’ai rencontré est tout sauf effrayant. En fait, je me suis retrouvé devant un homme réfléchi, et d’une grande sensibilité. Juste à entendre la description qu’il m’a faite de son personnage, je savais que mes préjugés allaient être remis en question : «The Beast King, c’est l’accumulation de 20 ans de déceptions, de frustrations, une grande exploration de l’âme humaine après avoir travaillé dans le milieu psychiatrique. C’est tout simplement d’ouvrir la valve de la cruauté que chaque être humain a en lui.»
Si vous avez l’impression de l’avoir déjà vu quelque part, c’est que Marc-André, alias Franky, a une carrière d’acteur en pleine éclosion. Il a joué l’agresseur de Jeanne dans Unité 9, puis en tueur lié au crime organisé dans District 31. Curieusement, son casting ne semble pas inspirer les rôles de professeurs de pastorale. D’ailleurs, il dit ne plus remarquer que les gens dans la rue se retournent sur son passage (même si sa blonde trouve toute cette attention bien fatigante, elle).
Mais il doit jouer plutôt bien, parce que les gens commencent à le détester, partout : «Je me suis fait cracher dessus par une madame au Jean Coutu!» En effet, la dame voulait le punir d’avoir fait mal à sa Jeanne. Comme quoi, on trouve vraiment de tout chez Jean Coutu, même une madame naïve et malpolie.
Si vous avez déjà vu The Beast King dans le ring, vous êtes peut-être moins surpris qu’il ait décidé de se tourner vers le jeu. Il a un côté très théâtral, et il dit lui-même préférer les gros personnages des années 80 : «Si je suis Marc-André Boulanger à la lutte, c’est fucking plate. Ou ‘’moi, je suis un combattant qui a appris l’art de la lutte dans mon école de lutte et je suis ici pour défendre l’honneur de mon sport’’, c’est de la marde.»
La question demeure toutefois : pourquoi le jeu? En tant que vétéran ayant roulé sa bosse des petites ligues de Valleyfield aux fédérations américaines reconnues comme la CZW et la ROH, n’aurait-il pas voulu tenter de faire le saut à la WWE? Il a essayé à quelques reprises, mais il n’a jamais réussi à retenir l’attention de la grosse ligue, contrairement à son ami Kevin Owens (FTM est d’ailleurs le parrain du fils de Kevin).
Pourquoi est-ce que ça n’a pas fonctionné, selon lui? Il donne une des explications possibles : «J’ai pas nécessairement tout le temps fait les sacrifices nécessaires. Je suis peureux. Y’aurait fallu que j’aille sur la route, que je me botte le cul à faire des petits shows partout et nulle part, comme Kevin et comme [Sami Zayn] l’ont fait, pour éventuellement avoir des opportunités d’en faire un petit peu plus dans d’autres pays».
Je me dis que ça doit être difficile de ne pas ressentir de déception quand on voit ses amis réaliser leurs rêves et de rester derrière. «Il y a eu un amalgame d’émotions qui m’ont traversé l’esprit, le cœur et les tripes, mais de la déception? Non. Pourquoi est-ce que je serais déçu qu’un gars que j’aime plus que tout au monde réussisse enfin, après des efforts incalculables, à gagner sa vie et à être l’une des vedettes les plus établies de la plus grosse compagnie de lutte au monde? Comment je pourrais être déçu? Non, je suis content, je suis fou comme de la marde. Je suis comme une petite groupie, je crie ‘’C’EST MON AMI!’’»
De toute façon, Franky a sa place comme vétéran de la scène québécoise. Et il a d’ailleurs de très bons mots pour la relève locale, qu’il dit beaucoup plus talentueuse dans le ring qu’il ne l’était à ses débuts. Anyway, Franky est prêt à apprendre de n’importe qui : «Si dans ce milieu, t’as l’impression que t’apprends plus rien, t’es royalement con et t’as un problème d’ego. Moi, je peux apprendre d’un gars qui prend son premier cours de lutte, il peut me faire découvrir quelque chose.»
Il n’a d’ailleurs que des bons mots pour un des jeunes les plus prometteurs issus de la scène canadienne, Speedball Mike Bailey : «Speedball Mike Bailey, pour moi c’est la prochaine breakthrough star au monde, il est à ce point-là talentueux. C’est le meilleur lutteur après Kevin [Owens] et [Sami Zayn] à être sorti du Québec, et de loin.»
(Note à moi-même : inviter Mike Bailey à faire une entrevue).
Plus je parle avec Franky, plus je réalise que les apparences sont trompeuses. En fait, je n’ai pas parlé à Franky, mais bien à Marc-André, qui se révèle rapidement. Il donne l’impression d’un gars intense, qui laisse transparaître ses émotions facilement. «J’ai vraiment beaucoup investi de mon énergie, de mon temps, de mes émotions, j’ai sacrifié des relations… J’ai blessé des gens pour la lutte […] la lutte est devenue ma maîtresse, ma femme.
[…] À cause que j’ai tout donné dans la lutte, je me suis perdu. J’ai atteint ce point-là, qui est très dangereux. J’étais Franky tout le temps.»
En fait, malgré ses allures de colosse, de dur à cuire, je réalise que The Beast King partage avec les tasses de thé dans lesquelles nous buvons une certaine fragilité (quoi que je ne lui dirais pas en pleine face, à la grosseur de biceps qu’il a).
«Je vis pour le bonheur des autres. Si j’ai une vocation dans la vie, c’est de faire que les autres vont se sentir bien.»
Le salon de thé, ce n’était pas un lieu si loin du Beast King, finalement.
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