Véritable vétéran de la lutte québécoise, avec 18 ans d’expérience entre les câbles, Benjamin Tull a vu la scène évoluer dans les dernières décennies.

Il y a près d’un an, je l’ai rencontré au Café Chat l’Heureux, à Montréal, pour discuter avec lui de sa carrière, de la lutte au Québec, et de sa haine pour les chats.

Benjamin Tull se fait vite remarquer. Dans ce café rempli de touristes ontariennes portant des bandeaux avec des oreilles de chat, cet homme carré arborant une moustache d’homme fort du 19e siècle détonne. Surtout qu’il me l’a déjà dit, il déteste les chats.

Mais ça fait aussi partie de son personnage. Je lui demande qui est Benjamin Tull le lutteur. Il hésite. « Tu me pognes tellement pas dans le bon moment de ma vie pour me demander ça. J’en ai aucune idée. » Après quelques hésitations, il en arrive à une description : « C’est moi, c’est juste moi. Je parle un peu de bouffe, j’ai ma barbe pis ma moustache, pis je dis au monde de farmer sa yeule. »

C’est un peu ce qu’il dégage. Tull, même s’il déteste les chats, a ça en commun avec ceux-ci : il projette une image d’indépendance. Il joue le jeu du gars dur d’approche, au-dessus de ses affaires. Ce qu’il ne faut pas confondre avec de l’arrogance. Parce que contrairement à ce qu’on peut penser, Benjamin jette un regard très humble sur sa carrière. Je lui demande s’il envie ses confrères québécois, Sami Zayn et Kevin Owens, qui sont maintenant au sommet de la WWE.

« Je pense pas que j’avais le talent pour tout arracher pis faire beaucoup d’argent avec ça. […] Je les ai vus vivre, Sami pis Kevin, en attendant [de percer], c’était pas facile. Et moi, je suis un peu trop high-maintenance pour vivre ce qu’eux ont vécu. C’est la preuve que je me dis que j’ai pas le talent pour me rendre dans les grosses ligues. Je suis pas prêt à vivre ça pour avoir ce qu’il y a en bout de ligne. »

Il est aussi, comme il le dit, un foodie. Si vous l’avez déjà vu, mais que vous ne fréquentez pas les sous-sols d’église, c’est probablement à Un souper presque parfait. Si on se demande encore ce que The Rock cuisinait, Benjamin, lui, c’est des gnocchis et de la bisque de homard. D’ailleurs, dans son « vrai » travail, il est copropriétaire d’une boulangerie-pâtisserie, Les Touriers.

Benjamin Tull est aussi de toute évidence un gars fier. Mais il voit bien que la lutte est parfois regardée de haut. Comme il le dit, pour beaucoup de gens, c’est vu comme quelque chose de quétaine, au même titre que la musique western. Est-ce que ça l’insulte? « Non, parce que j’ai toujours amené l’approche de “regarde, tu peux rire de ça si tu veux mais c’est ça que je fais.” »

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Mais ça ne lui fait pas rien non plus : « C’est plus quand je me fais snober par du monde qui fait du théâtre ou de la télévision. T’es sérieux? C’est une pièce de théâtre live avec du monde qui se bûchent dessus. Ok, l’acting est moins bon que toi, parce que toi tu peux te concentrer et tu te fais pas taper sur la gueule pendant que t’es en train de le faire. Je suis tanné que ça fasse pas partie [des arts], parce que c’est dans une zone grise entre le sport et le théâtre. »

Il reste qu’en 18 ans de carrière, Benjamin Tull a eu le temps de voir la scène de lutte québécoise évoluer. Il ne dresse pas un portrait tout rose. S’il pense que la lutte est relativement en forme en région, il ne pense pas que ça va bien à Montréal. Les shows peinent à remplir leurs petites salles. Mais avec l’arrivée de Kevin Owens et Sami Zayn à la WWE, le momentum est positif. Il y a une curiosité qui s’installe au Québec.

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Le changement le plus positif qu’il observe, c’est que les lutteurs ont commencé à se promener davantage entre les fédérations afin d’améliorer leur art, ce qui était un tabou à ses débuts : « Quand j’ai commencé la lutte à Montréal, c’était toutes des petites gangs que si t’allais parler à l’autre gang, ben t’étais renié. » Maintenant, les lutteurs imitent la recette de Zayn et Owens et se promènent un peu partout, ce qui contribue à l’évolution de talents prometteurs comme Mike Bailey et la TDT (la Tabarnak de Team).

Et après cette longue carrière, est-ce qu’il commence à penser à la retraite? « Pas le choix. Surtout avec Simone, ma petite qui vient de naître. Je sais pas si j’ai envie qu’elle s’intéresse à ce côté-là de moi. »

Et c’est là que, malgré son image de gars au-dessus de ses affaires, il révèle son côté plus doux : « J’ai pas envie qu’elle fasse partie de ce milieu-là. J’aimerais mieux que ça n’arrive pas à ma fille. Surtout pour une fille, le lutteur qui veut juste te cruiser pis qui te dit ““Hey, viens, tu vas être ma manager”, si toi t’as vraiment envie de faire partie de ça, tu le vois pas ce qui se passe. Et moi je serais juste le père méchant qui veut pas l’encourager, qui veut pas qu’a se donne. »

« Si elle veut être lutteuse, je lui dirais pas “Oui, c’est une crisse de bonne idée”. Mais si t’as vraiment envie de faire ça, c’est sûr que je vais m’assurer que ton chemin se fasse. Mais c’est sûr que tu ne seras pas une eye candy, ça c’est garanti. »

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Sûrement que Benjamin Tull voudrait me battre parce que j’ai écrit ça, mais il a un côté félin, finalement : dur d’approche, mais doux une fois qu’il laisse tomber sa garde.

Vous pouvez suivre Benjamin sur les réseaux sociaux (FB, Instagram et Twitter) sur @benjamintull, ainsi que son entreprise sur @lestouriers ou au www.lestouriers.com. Vous pouvez également lire ses critiques culinaires aux deux semaines sur Tastet.ca, section Rive-Sud.



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