Sommes-nous inconscients? Ou simplement insouciants? Ou, au fond, sommes-nous simplement mal informés, mal éduqués, par rapport à certains enjeux de société?
Je me le demande.
C’est une question qui revient me hanter souvent lorsque je vois passer des commentaires sur les médias sociaux. Je me surprends souvent à me dire: « Mais les gens n’ont aucune idée ». Et encore une fois lundi, lorsque Naomi Osaka a annoncé qu’elle se retirait des Internationaux de tennis de France parce qu’il en était mieux ainsi pour sa santé mentale, je me suis dit que plusieurs n’avaient encore rien compris.
Une question de perspective
Les membres des médias sportifs – dont je fais partie –, passent des heures à décortiquer les performances des athlètes, à comparer et à critiquer de la façon dont ils ont exécuté telle ou telle manœuvre, tel ou tel jeu, mais la vérité, c’est qu’on parle très peu des sacrifices psychologiques que demandent d’être un athlète professionnel. Jour après jour, ces athlètes doivent aller puiser au fond de leurs réserves d’énergie et de force, autant physiques que mentales, pour livrer de solides performances et atteindre les plus hauts sommets.
Trop souvent, on semble oublier que les athlètes sont d’abord et avant tout des êtres humains. Des êtres humains avec des qualités et des défauts, des forces et des faiblesses, qui connaissent des hauts et des bas. Et bien que nous les percevons souvent comme des héros qui ne portent pas de cape, ce sont des êtres humains qui ne sont pas exempts de rencontrer, eux aussi, des difficultés dans leur vie personnelle et de souffrir de problèmes de santé mentale.
Pensons à des athlètes comme le nageur Michael Phelps, que nous percevions comme un surhomme. L’un des meilleurs athlètes de tous les temps, qui a raflé toutes les médailles et battu presque tous les records possibles et imaginables. Et pourtant, à l’apogée de sa carrière, le nageur a avoué avoir eu des idées noires qui lui trottaient dans la tête plus souvent qu’autrement. Il a raconté qu’il avait songé au suicide plus d’une fois, après avoir vécu plusieurs épisodes de dépression. Dans le documentaire The Weight of Gold, diffusé l’été dernier sur la chaîne américaine HBO, l’athlète américain est même allé jusqu’à comparer la dépression et le suicide à une « épidémie » parmi les athlètes olympiques, déplorant que la santé mentale des athlètes soit trop peu souvent prise en charge.
De son propre aveu, il a avoué qu’il n’aurait peut-être pas eu le courage de s’exprimer sur ces enjeux s’il n’avait pas réalisé à quel point il était rendu primordial, à son sens, que les choses changent. Pour lui, c’était devenu une nécessité.
Revenons à Naomi Osaka.
Toute cette saga a débuté lorsque la joueuse a annoncé qu’elle ne participerait pas aux conférences de presse durant les Internationaux de tennis de France, évoquant le manque considération pour la santé mentale des athlètes. Elle a mentionné que les questions des journalistes jouaient souvent sur son estime personnelle et qu’elle trouvait difficile, pour le moment, de se présenter devant une horde de journalistes. Cette prise de position a fait couler bien de l’encre et a suscité bien des réactions de la part des autres athlètes du circuit. S’en est suivi d’une amende salée de la part des organisateurs dimanche, après qu’elle ait refusé de se présenter devant les membres des médias après son premier match, et d’une mise en garde pour la suite des choses.
It’s incredibly brave that Naomi Osaka has revealed her truth about her struggle with depression.
Right now, the important thing is that we give her the space and time she needs.
We wish her well.
— Billie Jean King (@BillieJeanKing) May 31, 2021
Le débat est intéressant.
Étant moi-même journaliste, je suis prête à respecter son opinion, mais je crois tout de même que ça fait partie des aléas du métier d’athlètes professionnels et que, malgré tout le mal qu’on puisse dire des médias, ce sont tout de même eux qui ont contribué à rendre le tennis populaire et qui ont fait écho des revendications des femmes sur le circuit, alors que Billie Jean King et sa bande se battaient pour l’équité salariale des femmes dans le tennis.
Je trouve toutefois cruel de lire des titres du genre « Naomi Osaka fait encore des siennes » ou « Les caprices de Naomi Osaka ». Ça me donne envie de lui donner raison de ne pas vouloir s’adresser aux journalistes, bien que je crois profondément en une démocratie journalistique. Pour moi, ça fait partie du métier que de devoir répondre aux questions des journalistes, dans la victoire, comme dans la défaite, et ce, même si les journalistes remettent en doute les performances ou la façon dont le plan de match a été exécuté. Les journalistes se doivent de poser toutes sortes de questions pour comprendre ce qui a mené à la victoire ou à la défaite, pour être en mesure de relater les faits, et ce qui s’est passé, le plus justement possible. Et parfois, les journalistes se doivent de poser des questions inconfortables.
Ça aussi, en tant que journaliste, ça ne me plaît pas toujours, mais ça fait partie de mon métier.
Il y a des nuances importantes à faire lorsqu’on évoque les questions de santé mentale. Je ne suis pas prête à jeter toutes les pierres à Osaka. Au contraire, j’ai envie de l’écouter, de comprendre son point de vue et de faire la part des choses. Je suis plutôt sensible au fait qu’elle choisisse d’expliquer d’où vient cette décision et qu’elle se rende vulnérable, pour montrer que les athlètes aussi vivent parfois des hauts et des bas et qu’ils doivent apprendre à composer avec. Et pour elle, elle venait de trouver sa façon de gérer son bien-être mental, bien qu’elle savait pertinemment qu’elle se ferait juger, même par son propre milieu, et qu’elle recevrait son lot de bêtises sur les médias sociaux.
Il y a certainement un fond de vérité dans le discours d’Osaka, et je crois qu’il serait important d’engager le dialogue, pour permettre de trouver un équilibre sain. D’expliquer simplement les points de vue de part et d’autre. La solution serait peut-être d’expliquer en quoi consiste notre métier de journaliste, d’expliquer pourquoi il est impératif pour nous de poser ce genre de questions. Je ne sais pas, je ne suis pas spécialiste, mais j’aime croire qu’engager le dialogue serait déjà un pas dans la bonne direction.
Dans son approche, Michael Phelps croit que pour se sortir de cette spirale, devenue toxique pour plusieurs athlètes, la première étape consiste « à traiter ces personnes comme des êtres humains plutôt que comme des produits qui sortent de la chaîne d’assemblage ». Ç’a l’air simple dit comme ça, mais pour moi, tout y est.
Et j’ajouterai l’un des passages du documentaire, qui m’a le plus marquée : « Je peux le dire honnêtement, je ne crois pas qu’en me remémorant ma carrière, quelqu’un ait été assez impliqué pour nous aider. Je ne crois pas que quiconque soit venu nous demander si nous allions bien. Tant que nous avions des performances, je crois que rien d’autre ne comptait […] Cela me brise le cœur parce qu’il y a tellement de gens qui se soucient tellement de notre bien-être physique, mais je n’ai jamais vu personne se soucier de notre bien-être mental. »
Certes, vous me direz qu’il est difficile de voir la situation de cet angle lorsque les athlètes gagnent des milliards de dollars. Et pour moi, il est en partie là, le problème. Ce n’est pas parce que le lundi matin, Naomi Osaka faisait les manchettes parce qu’on révélait qu’elle avait empoché près de 50 millions de dollars US qu’elle n’est pas une femme introvertie qui fait de l’anxiété sociale et qui doit apprendre à nager dans cet océan médiatique sans trop s’écorcher sur les coraux au passage.
Si la pandémie nous a bien enseigné quelque chose dans les 14 derniers mois, c’est bien l’importance de prendre soin de soi. De s’écouter, de ralentir quand on en ressent le besoin, d’aller chercher de l’aide, de normaliser les fragilités de la santé mentale et de trouver des solutions qui nous conviennent quand on sent que le vase est en train de déborder. Alors pourquoi les athlètes en seraient exempts? À ce que je sache, eux aussi ont vécu des moments assez difficiles merci dans les derniers mois. Il se peut qu’ils soient écorchés, épuisés, déprimés de vivre dans des bulles, loin des leurs, et qu’ils aient envie de penser à leur bien-être mental. On fait tous notre effort, pour le bien collectif, certes, mais ça laisse des traces.
Nous sommes dans une époque charnière, où les athlètes prennent position sur les enjeux sociaux qui les touchent, utilisent leur tribune à bon escient. Ça dérange, mais ça épuise aussi. Des athlètes comme Naomi Osaka, qui choisissent de se lever, d’aller au combat pour dénoncer les injustices raciales, qui se rend vulnérable pour parler de santé mentale. Ça aussi, ça laisse des traces.
Alors avant de jeter des pierres, il faut chercher à comprendre et chercher à s’adapter.
Le monde du sport tarde à s’adapter. Dans des cas comme celui-ci, il semble difficile d’accommoder une athlète qui doit composer avec une santé mentale plus fragile. Et j’ai bien d’autres exemples qui me viennent en tête. Comme celui d’un certain joueur de hockey, qui ne porte plus son chandail tricolore depuis quelques semaines. On ne connaît pas le contexte et l’histoire dans les détails et c’est bien correct comme ça, je crois qu’il mérite toute l’intimité du monde, pour guérir, pour aller mieux. Mais il mérite aussi que l’on prenne conscience de toute la pression qui a été mise sur ses épaules et qu’individuellement, nous fassions tous un examen de conscience et que nous acceptions aussi, qu’au fond, cette pression que nous mettons sur les athlètes que nous aimons, elle devienne parfois trop nocive et impossible à gérer.
Et vous savez quoi? Ça ne fait pas de ces athlètes, qui ne carburent pas à cette énorme pression, des faibles.
Au contraire, je trouve admirable que des athlètes, malgré tout ce qui est en jeu, malgré toutes les critiques acerbes à leur endroit, se choisissent. Ç’a l’air ésotérique et je ne souhaite surtout pas faire de la psychopop à cinq sous, mais ça prend de la force et du courage de se retirer et de penser, pour une fois, à son propre bien-être.
Trop souvent, nous oublions que c’est du sport et qu’on n’en meurt pas.
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