Fabulous Moolah

Aussitôt annoncé, aussitôt changé; le Battle Royal féminin à Wrestlemania ne portera pas le nom de Fabulous Moolah. Et pourquoi donc? Parce que si on se fie à certains témoignages, Fabulous Moolah tiendrait un peu moins de la pionnière inspirante que la WWE nous présente, et un peu plus de Damien dans Fugueuse.

Après avoir annoncé en grande pompe il y a deux semaines la tenue d’un Battle Royal féminin qui porterait le nom de The Fabulous Moolah Memorial Battle Royal, la WWE a eu la surprise de voir les fans s’organiser pour dénoncer le nom du match.

Il y a eu une pétition qui a recueilli plus de 10 000 signatures, ainsi qu’une campagne de mobilisation ciblant les commanditaires de Wrestlemania, sans compter les centaines de tweets (je sais, les gens en colère sur Twitter, quelle surprise).

Il semble d’ailleurs que ce ciblage des commanditaires ait fonctionné, parce que Mars, la compagnie derrière Snickers, le commanditaire principal de Wrestlemania 34, y ait allé de ce communiqué :

«We were recently made aware of the World Wrestling Entertainment Inc’s (WWE) decision to honor a former wrestler during the upcoming WrestleMania 34 event. As a principle-based business that has long championed creating inclusive environments that encourage and empower everyone to reach their full potential, this is unacceptable. We are engaging with the WWE to express our disappointmen

Comme on dit dans le milieu de la lutte, oups.

Le milieu de la lutte féminine en bear hug

Mais pourquoi toute cette controverse? Les critiques tiennent principalement en deux choses. D’abord, Fabulous Moolah a eu la main mise sur la lutte féminine pendant des décennies, et elle en a profité pour assurer sa dominance sur toutes les potentielles vedettes montantes. Pendant une longue période, si vous étiez une femme et que vous vouliez apprendre à lutter, c’était par Fabulous Moolah que ça passait. Elle en a profité pour imposer un style qui lui a permis de lutter de façon active jusqu’à ce qu’elle soit une sexagénaire. Si pendant longtemps la lutte féminine c’était beaucoup de tirage de cheveux et peu d’athlétisme, vous pouvez remercier Moolah.

Mais surtout, cette domination s’est exercée de manière financière. Non seulement ses élèves devaient payer les frais d’entraînement, mais elles étaient obligées de se loger à l’école de Moolah, et la patronne gardait une cote sur chacun de leurs cachets, pour les frais d’hébergement, de nourriture, de transport, si bien qu’elle gardait au final entre 30% et 50% de leurs revenus selon les témoignages. Une de ses anciennes élèves, Debbie Johnson, dit même avoir dû lutter pendant 2 ans avant de commencer à recevoir un peu d’argent pour son travail.

Les femmes sous le joug de Fabulous Moolah se retrouvaient donc dans une situation de presque esclavage. Une autre de ses anciennes élèves, Mad Maxine, dit même avoir dû avoir un autre travail sur le côté, pour pouvoir se permettre une ligne téléphonique et ainsi éviter d’être privée de tout contact avec le monde extérieur.

La Damien de la lutte

Mais l’aspect qui a surtout mis le feu aux poudres chez les fans est l’exploitation sexuelle dont Fabulous Moolah est accusée. Des années 50 aux années 80, si vous vouliez avoir des lutteuses sur votre show, il n’y avait qu’une personne par qui passer pour le booking : Fabulous Moolah.

Le problème, c’est que si l’on se fie au témoignage de certaines de ses ex-protégées, Moolah n’offrait pas juste leurs services de lutteuses. Penny Banner, lutteuse dans les années 50 à 70, en a d’ailleurs témoigné :

« Ne tournons pas autour du pot – Moolah était une proxénète. De son immense domaine de 42 acres à Colombia, Caroline du Sud, Moolah envoyait des mineures à peine entraînées pour faire des ‘’photoshoots’’ qui seraient aujourd’hui considérés comme de la pornographie juvénile. Elle envoyait ses élèves aux promoteurs en groupes déterminés à l’avance. Elle les louait au prix de gros, et il était entendu que les filles coucheraient avec les promoteurs et tous les lutteurs qui auraient envie d’elles. […]

Du sexe sur la route avec un groupe régulier et docile de filles semi-attirantes en échange d’argent, voici ce que Moolah offrait. Les femmes envoyées sur ces tournées n’étaient pas avisées de cet ‘’arrangement’’ à l’avance. Elles l’apprenaient une fois sur la route. Celles qui refusaient de coucher avec les promoteurs et les lutteurs se faisaient violer.»

(traduction libre de propos rapportés dans Sisterhood of the Squared Circle: The History and Rise of Women’s Wrestling)

Certaines de ses élèves continuent de prétendre que ces accusations sont fausses, mais trop de voix se sont élevé pour corroborer les dires de Banner pour qu’on n’y porte pas attention.

À quoi pense la WWE?

Pourquoi alors la WWE a-t-elle décidé d’y aller de l’avant avec le nom de Fabulous Moolah? Ce n’est pas comme si ces accusations étaient nouvelles ou même peu connues. Ça fait très longtemps que le mot circule, et quand dans l’heure qui suit une pétition est montée et que les tweets affluent, c’est évident que même les fans sont au courant. Et la décision paraît encore plus étrange dans le contexte actuel de #metoo et #TimesUp.

C’est que depuis des années, la WWE a réécrit l’histoire comme si la lutte féminine avait été bâtie par deux pionnières, The Fabulous Moolah et Mae Young. C’est incroyablement inexact, Mae Young n’a jamais été une si grande vedette, et Mildred Burke était probablement plus populaire que Moolah a son époque. Mais il reste que c’est ce que la WWE tente de nous faire croire depuis l’ère attitude, et comme Mae Young a déjà eu un tournoi à son nom l’an dernier, il restait Fabulous Moolah à honorer avec un événement majeur.

De plus, le milieu de la lutte a été, et demeure encore largement aujourd’hui, un milieu louche. La lutte, à la base, c’était une attrape de cirque ambulant pour arnaquer le monde sur les paris, et la discipline a gardé ce côté «vendeur de chars usagés» pendant longtemps, attirant les personnalités qui vont avec.

Sans aller jusqu’à des accusations aussi graves, la plupart des légendes de la WWE ont trempé dans une chose louche ou deux (ou trois, ou quatre). Il y a eu les histoires de racisme d’Hulk Hogan, les comportements homophobes d’Ultimate Warrior ou encore les accusations pour violence conjugale de Stone Cold.

Évidemment, on ne parle pas de méfaits du même calibre. Mais il n’en reste pas moins que dès que la WWE fait référence à ses légendes, elle est en terrain miné.

Peut-être est-il temps de se concentrer à honorer les lutteuses d’aujourd’hui, qui offrent un spectacle beaucoup plus intéressant… et qui semblent plus intéressées à se servir de leurs temps libres pour jouer au Playstation au lieu de mettre en place des réseaux de prostitution.



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