Daphnée Malboeuf et le Canadien

La sentez-vous, la fièvre des séries?

Prière de ne pas donner une grande dose Motrin. Laissez-nous avoir de grands frissons, laissez-nous délirer collectivement encore un peu, ça fait du bien.

Laissez-nous investir 12$ chez Canadian Tire pour s’acheter des balais avant de débarquer devant le Centre Bell lors d’un match no. 4 bien prometteur. Laissez-nous échanger des regards complices avec de purs inconnus et s’époumoner en groupe devant un téléviseur au Parc Laurier, parce que le Canadien vient de SCOOOOORER.

Vous savez pourquoi j’aime le sport? Exactement pour ça.

J’ai souvent dû me justifier auprès de mes amis plus érudits, qui s’expliquent mal mon grand amour du sport et du hockey. Ils ont toujours eu du mal à comprendre pourquoi je m’exalte devant « des pousseux de puck ». Ils se croyaient au-dessus de ça, eux.

Et pourtant, quelques-uns de cesdits amis m’ont révélé être en train d’aimer ce qui se tramait après le sixième match de la série contre les Maple Leafs. Un de ces amis, dont je tairai le nom, a été appelé à couvrir pour un grand média les festivités extérieures lors de ce match, qui accueillait pour la première fois des partisans depuis mars 2020. De son propre chef, il m’a confié qu’après avoir assisté à ce match, il comprenait pourquoi j’aimais profondément le sport.

C’est que mon amour du sport va bien au-delà des performances.

C’est ce qui entoure le sport qui me fait vibrer. C’est l’effet rassembleur du sport qui me fait avoir le motton dans le gorgoton.

Au Québec, nous avons tous été introduits de façon différente au hockey, mais ça fait partie de notre ADN collectif. Et sans aucun doute, le Canadien fait partie de nos racines, de notre histoire.

Racontez-moi les fois, quand vous étiez enfants, où vos parents vous ont accordé le privilège de dépasser l’heure habituelle du dodo pour regarder la troisième période et la prolongation, parce que c’est le temps des séries. Parlez-moi du petit pyjama bleu-blanc-rouge que vous avez porté avec de l’eau dans la cave, solide, parce qu’étant un peu superstitieux, vous aviez la conviction qu’il fallait le porter pour faire gagner le club.

Pas pour rien qu’on surnomme le club la Sainte-Flanelle. Le Canadien, par ici, ça relève du culte.

Le baume du CH

Ce qui se produit présentement me fait rêvasser un peu. Après une année pandémique excessivement difficile, où on a eu plus d’une occasion de se chicaner, où nous avons été divisés sur presque tous les sujets, je trouve ça beau de nous voir enfin rassemblés derrière une seule et même équipe.

Soudainement, nous avons enterré la hache de guerre, rangé au placard les discussions houleuses entourant la politique, la religion, l’argent et la sacro-sainte pandémie, pour faire place à des débats sur la composition du 4e trio et la place accordée aux jeunes au sein de la formation.

Nous avons troqué nos différends pour faire place aux cris primaux, aux « Olé Olé Olé Olé » et aux sourires fendus jusqu’aux oreilles.

Et ça, ça me fait plaisir, vous ne pouvez même pas savoir comment.

Que la grand-mère de ma meilleure amie se tourne vers le hockey, parce que ses «programmes» sont terminés, et qu’elle lui explique sa théorie sur les Jets de Winnipeg via une discussion sur Zoom, ça me fait chaud au cœur. De voir des enfants déambuler dans les rues de mon quartier, en route vers l’école, en arborant fièrement un chandail de Brendan Gallagher, ça m’émeut. D’appeler mon père durant les entractes pour qu’on échange nos points de vue sur les 20 dernières minutes de jeu, ça me replonge dans mes meilleurs souvenirs d’enfance, lorsque nous étions tous réunis autour du téléviseur le samedi soir pour écouter La Soirée du Hockey.

Je suis touchée de lire que la fièvre des séries a dépassé les frontières de notre belle province et qu’elle s’est emparée de nos confrères francophones un peu partout au Canada. Renversée de voir des Acadiens habillés tricolore de la tête au pied, en passant aussi par la chaise de camping et le masque aux couleurs du CH.

Vous ne trouvez pas ça beau vous aussi, de voir tout ce beau monde-là, réuni à la même messe, prier le même Jesus Price?

Moi, ça me touche profondément.

Ça me fait drôlement penser au Printemps Halak. Vous savez, ce fameux printemps qui nous a donné des fourmis dans les orteils pour la première fois depuis un sapré bout? Pour moi et mes pairs nés (à notre grand désarroi) après la dernière conquête de la Coupe Stanley de 1993, c’était quelque chose. Nous avons vécu (trop longtemps) les années de vache maigre du Tricolore et pour la première fois, il se passait quelque chose qui relevait du miracle.

Les deux scénarios ont leurs différences, mais c’est tout comme.

Le Canadien s’était qualifié pour les séries lors du dernier match de la saison régulière en récoltant un point dans une défaite en prolongation face aux Maple Leafs de Toronto. En première ronde, la tâche était colossale. Le Tricolore a surmonté un déficit de 1-3 face aux Capitals de Washington, récipiendaires du Trophée des Présidents grâce à une récolte de 121 points en saison régulière. And the rest is history, comme ils disent.

La nostalgie

Je me rappelle cette époque. La fébrilité qui avait dans l’air. Moi, en secondaire 4, au sommet de ma passion quasi maladive du hockey, qui faisait des scrapbooks sur les joueurs, qui avait un étui à crayon, une tuque, un foulard, un porte-clés, alouettes, à l’effigie du Canadien.

Dans les corridors d’école, on s’apostrophait entre les cours pour se jaser du match de la veille et de celui à venir. Il n’y avait plus de notion de gangs d’amis, tout le monde se mélangeait, tout le monde se parlait. J’ai de la difficulté à l’expliquer, mais ça nous avait unis (et divisés aussi, parce qu’imaginez-vous donc que mon premier petit copain, vous savez, ce premier amour qui brûle fort en dedans, ÉTAIT UN GRAND PARTISAN DES FLYERS DE PHILADELPHIE… notre couple avait survécu, mais disons que nous ne nous adressions plus beaucoup la parole quand les deux clubs se sont affrontés au 3e tour).

Je m’égare, mais j’ai l’ultime conviction que tout ceci avait eu un impact sur chacun des 426 élèves. Cette étincelle dans l’air, l’espace de ces quelques semaines, avait donné un souffle nouveau à notre cohorte, alors qu’on se dirigeait vers la dernière année du secondaire quelques mois plus tard. Et ça nous avait soudé jusqu’à la fin de notre périple.

Cette année, la trame narrative est un peu différente. Le débat Price ou Halak est loin derrière nous et l’homme aux grosses jambières fait maintenant l’unanimité, malgré son salaire de 10 millions $.

Mais au fond, c’est encore l’histoire d’une équipe résiliente.

Une équipe qui a su garder le cap contre vents et marées. Un club qui a traversé une saison atypique, un calendrier ultra condensé, dont la confiance a été ébranlée au cours de la saison régulière à la suite d’une série de congédiements, des blessures, une éclosion de COVID-19 et le départ d’une pièce importante du casse-tête.

C’est le récit d’une équipe menée par des vétérans qui ont pris le taureau par les cornes avant le match no.5 face aux Maple Leafs et qui ont mis leurs tripes sur la table. On a fait comprendre que le train ne passait pas souvent et qu’il fallait se démener pour l’attraper et s’y accrocher le plus longtemps possible une fois dedans. Un club rempli de jeunes de talents qui ont su saisir leur chance au moment opportun. Une formation dirigée par un directeur général et un jeune entraîneur-chef remis constamment en doute par 8 millions de gérants d’estrade, qui ont refusé d’abdiquer, même lorsque leur club connaissait de grands passages à vide.

Et surtout, c’est l’histoire d’une équipe qu’on comparait à un sac de chips nature de la marque Sans Nom — fade, sans identité —, arrivée sur les rotules en séries, qui devait faire face aux canons offensifs torontois et aux grosses épaules des Winnipegois, qui n’a jamais cessé d’y croire, contrairement au commun des mortels.

Les frères d’armes se sont tenu les coudes et se sont dressés face aux défis costaux qui se sont présentés au champ de bataille.

C’est pas moi qui le dis. Tyler Toffoli, après la victoire improbable des siens en quatre matchs au deuxième tour, a tenté d’expliquer le phénomène en disant ceci : « On sentait que personne ne croyait en nous […] On s’est tenus, on a joué ensemble. On a gagné et on s’est amusés. »

Alors à votre tour d’y croire. À votre tour de continuer de vous promener le drapeau bien haut accroché sur vos fenêtres de voiture, de déambuler avec les numéros de vos joueurs favoris dans le dos et de scander « Go Habs Go ! »

Comme l’a si bien écrit un jour John McCrae dans son poème In Flanders Fields : « Nos bras meurtris vous tendent le flambeau/À vous toujours de le porter bien haut ».



Commentez cet article